En 2021, 248 groupes chinois étaient cotés sur un
marché financier américain, pour une capitalisation globale de 2 100 milliards de dollars, sur un total de 53 000 milliards de dollars à fin 2021.
Le recours à une cotation sur un marché financier étranger est une stratégie répandue dans le monde financier, qui a notamment pou
r avantage de donner un accès plus facile à l’action du groupe à des investisseurs étrangers. Les bourses américaines sont les plus ciblées, car elles représentent les marchés les plus importants, qui permettent souvent de lever les montants plus importants.
Pour les sociétés chinoises, le recours à des cotations sur les marchés américains a également pour avantage de faciliter l’investissement d’acteurs étrangers, les investissements en Chine étant particulièrement complexes. Ce mouvement s’est accéléré après la crise financière de 2008, et atteint des records de nos jours, tant en tant de nombre d’entreprises cotées, que de montants levés. En 2014, Alibaba battait ainsi le record de la plus grosse IPO jamais réalisée aux USA, avec une valeur de presque 22 milliards de dollars.
Néanmoins, pour certains observateurs, ce phénomène constitue l’un des plus grands scandales financiers récent, qui a permis un détournement massif de l’épargne américaine vers la Chine.
L’entrée des sociétés chinoises sur les marchés américains : un phénomène en accélération, favorisé par des professionnels locaux
L’essor des IPOs (introduction en bourse) de sociétés chinoises a été favorisé par l’appétit de banques d’affaires américaines, comme Roth Capital Partners, qui ont su détecter l’opportunité offerte par ce marché. La possibilité offerte aux investisseurs américains de participer à l’essor économique du géant chinois apparaissait en effet comme un argument marketing majeur, promettant des retours sur investissement importants. Le marché des IPOs est également extrêmement lucratif pour un intermédiaire financier.
Le travail réalisé par une banque d’affaires lors d’une IPO d’un groupe chinois peut être résumé comme suit :
- Appui dans la réalisation du business plan de la société : l’IPO doit permettre à la société de se développer, de croître, et cette croissance est traduite dans le business plan. C’est sur ces promesses que les investisseurs décident ou non d’investir.
- Rédaction de la documentation marketing : la banque prend en charge la rédaction des documents qui serviront de base d’étude aux investisseurs. Cette documentation présente l’histoire de la société, ses projets, ses moyens, et son ambition de développement.
- Coordination avec des conseils juridiques pour gérer les aspects légaux de l’IPO. La plupart des IPOs de sociétés chinoises ont été réalisées via un mécanisme particulier, les « reverse mergers ». Ce dernier consiste en la prise de contrôle d’une société américaine dormante mais cotée en bourse (une coquille vide, ou « shell company »), par la société non cotée chinoise. La coquille vide étant déjà listée sur les marchés américains, l’opération est beaucoup plus rapide à monter et les délais d’introduction sont très faibles (quelques semaines contre quelques mois pour une IPO normale). La documentation juridique et les contrôles sont également plus légers.
- Lancement de l’introduction : la banque d’affaires fait connaître la société et s’assure de susciter de l’envie autour de son introduction pour s’assurer de l’intérêt d’investisseurs. Les traders de la banque proposent ensuite à leurs clients, principalement professionnels, d’investir dans l’action lors de son lancement, ce qui pousse le prix de l’action à la hausse.
Dans le cadre de l’introduction, les comptes de la société sont également audités. Ces audits, visant à s’assurer que la représentation des finances de la société faite dans les documents marketing de l’IPO est fidèle à la réalité, sont généralement confiés à des cabinets d’audit internationaux qui interviennent via leurs filiales locales. Dans l’organisation classique d’un cabinet d’audit, les différentes implantations sont principalement dirigées par des associés qui sont de nationalité locale afin d’avoir une bonne connaissance du tissu économique. Ces filiales sont donc gérées par des associés de nationalité chinoise et sont en charge des interactions avec les sociétés afin de produire les documents de validation permettant d’officialiser leur cotation sur les bourses américaines. Ces cabinets ont ensuite la charge de la réalisation d’audits fréquents permettant à la société de publier chaque trimestre des rapports financiers, fidèles à la réalité de ses comptes.
C’est par ce processus que plusieurs centaines de sociétés chinoises ont été introduites sur les bourses américaines dans les 15 dernières années. Parmi elles, des géants technologiques comme Alibaba ou Baidu, mais le gros de ces sociétés était généralement de taille plus modeste, et présentes sur des secteurs variés (énergie, agriculture, services aux entreprises). Les investisseurs américains, particuliers ou professionnels, se sont ainsi rués sur les China Agritech, Longwei Petroleum, China Green Agriculture, China Integrated Energy et autres, qui affichent régulièrement des performances boursières se comptant en centaines de pourcents à la suite de leurs IPOs.
L’émergence de scandales de fraude
Pour certains investisseurs, les business plans des sociétés chinoises et l’explosion de leurs cours de bourses paraissent cependant trop beaux pour être vrais. En étudiant certains business plans, certains analystes concluent que les promesses faites par ces sociétés ne peuvent pas être réelles au vu des moyens humains ou matériels dont elles disposent, et décident d’enquêter. C’est notamment le cas de Carson Block, dirigeant de la firme Muddy Waters. L’homme est spécialisé dans la détection d’entreprises jugées frauduleuses, via des méthodes classiques d’analyse de comptes mais également des méthodes plus spécialisées, consistant par exemple en des investigations terrain. Par ces méthodes, il parvient à identifier des sociétés qui sont à son sens de complètes fraudes.
Une fois une fraude découverte, il prend position sur l’action de la société en la vendant à découvert, publie son rapport, et bénéficie de la chute des cours provoquée. Cette approche, très décriée, est défendue par ses utilisateurs pour qui ces pratiques permettent de rendre le marché plus sain. De nombreuses sociétés d’investigation de ce type se sont créées dans les années 2010, et ont notamment obtenu leurs lettres de noblesses en exposant des fraudes d’entreprises chinoises. Ces sociétés sont présentées dans le documentaire « The China Hustle », qui traite du phénomène.
Au cours des années 2010, les divulgations de fraudes concernant des sociétés chinoises cotées aux USA se multiplient, la plupart du temps grâce aux entreprises du type Muddy Waters Research.
A titre d’exemple :
- Sino-Forest Corporation : valorisée en 2010 à plus de 6 milliards de dollars, l’entreprise se présentait comme le leader de l’exploitation de forêts chinoises, déclarant un montant d’actif net de l’ordre de 5,7 milliards de dollars, pour un résultat net de quasi 400 millions de dollars sur l’année 2010. Muddy Waters publie en 2011 un rapport accusant l’entreprise d’être une gigantesque fraude, reposant sur un schéma de pyramide de Ponzi. L’action de la société perd rapidement plus de 80%, et les dirigeants déclarent le groupe en faillite.
- Longwei Petroleum : producteur et distributeur de pétrole. Accusé de significativement surestimer ses performances financières et la taille globale de ses activités. L’action du groupe s’effondre et est retiré de la côte peu après l’ouverture d’une enquête de la SEC (l’équivalent de l’AMF français).
- China Green Agriculture : producteur et distributeur d’engrais. Accusé d’avoir grandement surestimé son volume d’affaires, et multiplie par 5 ou 6 son résultat net dans ses comptes publiés aux USA par rapport à ses comptes chinois.
Des cas isolés ?
La fraude concernant des sociétés cotés n’est certes par un phénomène nouveau. Les différents cas de fraudes concernant des sociétés chinoises cotées aux USA ont pour beaucoup été attribué à des comportements isolés des fondateurs et dirigeants malhonnêtes de ces sociétés.
Néanmoins, ces fraudes ont été à minima tolérées par la Chine, qui en a bénéficié indirectement
Dans le cadre des travaux d’audit réalisés, un élément interpelle. Les comptes audités et présentés dans le cadre des fraudes étaient systématiquement faux, ce qui est généralement le cas lorsque les sociétés mentent à leurs auditeurs.
La réalité est néanmoins plus complexe. Dans le cadre d’investigations, des groupes comme Muddy Waters Research ont pu collecter des comptes locaux, publiés en Chine, de sociétés accusées de fraude. Ces derniers étaient différents des comptes officiels publiés aux USA (et utilisés lors des IPOs et dans le cadre de la communication financière réglementaire) et beaucoup plus proches de la réalité économique que connaissaient les sociétés. Ces comptes locaux sont normalement au centre des travaux d’audit réalisés, et il est difficile de penser que les auditeurs n’étaient pas au fait que leur travail constituait une complicité de fraude.
Un contrôle de leur travail, réalisé par des prestataires non chinois, pourrait en théorie limiter le risque de fraude. C’est néanmoins impossible. Si la loi américaine prévoit un contrôle du travail des cabinets auditant les comptes de sociétés cotées aux USA, la Chine refuse de coopérer avec les autorités américaines sur ce point, empêchant tout contrôle. Le prétexte ? Notamment protéger toute fuite d’informations confidentielles pouvant nuire à la Chine.
La réaction des autorités chinoises face aux accusations de fraudes interroge. A chaque accusation, elles ont fait bloc derrière les entreprises ciblées, traitant les accusateurs de mensonge, racisme anti-chinois ou encore de manipulations boursières. Concernant les bénéficiaires directs des fraudes, les cadres supérieurs ou fondateurs des sociétés, le système judiciaire chinois n’a pas jugé opportun de les poursuivre en justice. Ils sont donc en mesure de conserver les fonds détournés, libres et des les utiliser à titre personnel ou dans le cadre d’autres projets.
A minima, la Chine tolère donc ces pratiques.
Un cas historique de transfert de richesse par des méthodes frauduleuses
Quel que soit la responsabilité de la Chine dans ce phénomène, les fraudes commises ont permis un transfert massif de richesse des poches d’américains vers des poches chinoises. En 2018, les pertes d’investisseurs américains ayant investi dans des entreprises chinoises cotées aux USA était estimé à 50 milliards de dollars. Il est important de souligner que ces montants ne correspondent pas à des pertes classiques, qui arrivent lorsqu’une entreprise échoue dans ses projets de développement. Ces pertes sont liées à des fraudes, l’argent n’a donc pas servi à développer les sociétés, mais plus probablement à enrichir leurs propriétaires chinois.
Enfin, notons que les montants communiqués ne concernent que des sociétés suspectées, ou jugées coupables de fraudes. Il est donc probable que plusieurs autres sociétés soient également des fraudes, mais non détectées jusqu’à présent.
A titre d’exemple, plusieurs analystes doutent fortement de la fiabilité des comptes publiés par la société chinoise Alibaba, géant du e-commerce et valorisée à plus de 300 milliards de dollars.
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