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Martin Toussaint

Hindenburg Research vs. Adani Group : un cas d'usage offensif de l'information

Créé en 1988 par l’homme d’affaires Gautam Adani, le Groupe Adani est un conglomérat indien opérant dans différents secteurs d’activités parmi lesquels les infrastructures, l’énergie, les mines, la transformation alimentaire… Le Groupe a connu un développement rapide, ainsi qu’une appréciation significative des cours de bourse des différentes sociétés cotés le composant. Ainsi, au mois de janvier 2023, son fondateur figurait à la 11ème place du classement des hommes les plus riches du monde, avec une fortune estimée entre 84 et 88 milliards de dollars.

Le 25 janvier dernier, la société Hindenburg Research, une société américaine de recherche en investissement, publie un rapport documenté, basé sur des recherches menées pendant plus de 2 ans, accusant le conglomérat d’être l’une des plus grandes fraudes de l’histoire récente.



Le Groupe Adani : une success story indienne


Le Groupe est fondé en 1988, et commence ses activités en tant que négociant en matières premières. Son cœur de métier consistait alors à faire l’acquisition de tout type de matières premières, puis de les revendre à des clients indiens ou internationaux. Dans les années 90, le Groupe accompagne sa croissance en développant son propre port afin de servir de base pour ses activités.

Très vite, le Groupe développe une activité de négoce de matières premières énergétiques (charbon, pétrole, …) et commence à développer son propre réseau de production via des investissements significatifs. Le Groupe compte alors un réseau d’infrastructures comprenant des ports, des usines, des réseaux ferrés, des centrales électriques, des mines… à la fois en Inde et à l’étranger. Le développement du Groupe est également favorisé par les contrats publics qui lui sont donnés par le gouvernement indien, en particulier le gouvernement Modi.

En conséquence, les actions des sociétés du Groupe s’apprécient fortement sur les marchés financiers : l’action de la tête de pont du Groupe, Adana Enterprises, passe alors d’un cours de 210 INR en 2020 à 3 900 INR fin 2022, faisant de son actionnaire fondateur, Gautam Adani, l’un des hommes les plus riches du monde.



Le rapport Hindenburg : une attaque préparée et dirigée contre le fondateur du Groupe


Le 25 janvier, la firme de recherche financière Hindenburg Research publie un rapport sur le Groupe Adani. En préambule de ce dernier, elle explique que le Groupe pourrait constituer la plus importante fraude de l’histoire financière récente.


Ce rapport est le fruit d’enquêtes menées depuis plus de deux ans, mêlant investigations en sources ouvertes, déplacements sur des sites et entretiens menés avec des personnes en lien avec le Groupe Adani. Il fait ressortir un grand nombre d’arguments expliquant que la valorisation et les performances du Groupe ne sont en réalité qu’artificiels. Parmi ces points :

  • Des membres de la famille Adani sont impliqués dans la création de plusieurs entreprises offshore situées dans des paradis fiscaux. Ces sociétés sont utilisées pour créer des revenus artificiels venant gonfler les performances comptables du Groupe, mais qui ne sont liés à aucune activité réelle. Certains de ces sociétés, présentées comme des fonds d’investissements, sont également utilisés pour manipuler le cours des actions du Groupe, afin de gonfler leur valeur.

  • Les niveaux de valorisation des entreprises du Groupe sont totalement décorrélés des valorisations d’entreprises similaires. Le tableau ci-dessous illustre les décalages de valorisation existant entre les sociétés du Groupe et la moyenne du secteur. Adani Green Energy est ainsi valorisée 815x son résultat, alors que la moyenne constatée dans le secteur n’est que de 24x. Un retour vers ce niveau impliquerait ainsi une baisse de 97%.



  • Plusieurs sociétés du Groupe ont eu recours à un endettement massif, qui utilise comme collatéral les actions du Groupe. Les cours élevés des actions ont ainsi permis aux différentes sociétés de lever d’importants montants de dette. Néanmoins, cet endettement plonge à minima 5 des 7 sociétés du Groupe dans une situation précaire, avec des ratios de liquidité inférieur à 1 (indiquant des problèmes à venir dans le cas du remboursement de cette dette). Dans le détail, les prêteurs garantissent leur risque via les actions du Groupe. Or, en cas de baisse importante des prix des actions, cette garantie perd en valeur, et peut pousser les prêteurs à exiger le remboursement des montants prêtés afin de couvrir leur risque, ce qui peut provoquer une crise de liquidité pour les sociétés du Groupe.

  • Le Groupe a été accusé 4 fois dans le passé récent de fraudes, pour un montant de 12 milliards de dollars.


Ces éléments ne sont que quelques exemples du rapport, mais illustrent le point d’Hindenburg Research, qui consiste à prouver que la valorisation du Groupe est uniquement basé sur des manipulations comptables et boursières.

Depuis la sortie du rapport, les actions du Groupe sont en baisse de plus de 50%, totalisant plus de 100 milliards de dollars de pertes.





Le Groupe a tenté de répondre aux accusations via la publication d’un rapport dans les jours suivants l’attaque d’Hindenburg, mais ont échoué à convaincre les marchés. Consciente du danger, la banque centrale indienne a demandé des rapports complets à l’ensemble de l’écosystème financier indien concernant leurs expositions à Adani, montrant ainsi qu’elle craint une contagion à l’ensemble du système financier local.


Hindenburg Research : un vendeur à découvert (ou short seller) maîtrisant les techniques d’usage offensif de l’information.


Fondé en 2017, la firme Hindenburg Research a un business model simple : elle conduit des investigations sur des fraudes potentielles au sein de sociétés cotées sur les marchés. Une fois une suspicion de fraude détectée et étudiée dans un rapport complet, la société prend position à la baisse sur les marchés (via l’usage de la vente à découvert ou short selling, le pari sur la baisse d’actifs financiers). Elle publie alors son rapport, qu’elle relaie activement via différents canaux, notamment twitter. L’objectif est alors de profiter d’une panique du marché à la suite de ces révélations, la société empoche dans ce cas des plus-values importantes liées à son pari baissier sur les marchés.

Depuis sa création, la société compte plusieurs trophées à son tableau de chasse :

  • Yangtze River Port & Logistics (rapport publié en 2018, action en baisse de 98%)

  • Predictive Technology Group (2020, action en baisse de 90%)

  • Nikola (2020, action en baisse de 93%)

Le modèle de ce type de société est basé sur la crédibilité de ses informations. Dans le cas d’Hindenburg, les différents cas de fraudes identifiés par le passé permettent à la société d’avoir une réputation certaine dans le secteur, et donc d’influer fortement sur les cours de bourse lorsqu’elle publie un rapport.


Lors de l’attaque menée sur Adani, la société a publié son rapport sur twitter via un thread. Ce dernier a été vu 12,2 millions de fois depuis, liké 41,5 K de fois, et retweeté 17,5 K de fois.

Le profil twitter de la société compte plus de 416,9 k abonnés.


En résumé, le modèle de la société est simple : elle produit une information stratégique via la collecte, le traitement, et l’analyse de données de nature multiples, qu’elle synthétise ensuite dans des rapports détaillés visant à attaquer la réputation d’une cible. Elle prend ensuite position sur les marchés financiers afin de bénéficier du futur impact de son rapport, puis publie ce dernier via des médias qui favorisent la viralité.

L’information est ainsi utilisée comme une arme.


A l’heure actuelle (2 février), le Groupe Adani dément toujours les allégations d’Hindenburg. Néanmoins, la chute libre du cours témoigne du manque de confiance des investisseurs. En cas d’effondrement du Groupe, c’est un géant indien qui disparaitrait, ce qui pourrait fragiliser l’ensemble du système financier local. C’est également un risque pour le Premier Ministre Modi, dont les liens avec Gautam Adani interrogent.

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